Démocratie américaine
Voici un témoignage édifiant de deux personnes ayant été piégées à la Nouvelle-Orléans après le passage de Katrina. Ca donne une idée de ce qu'est en train de devenir la première puissance mondiale (auto-proclamée) et la sorte de "démocratie" qu'ils entendent promouvoir (en Irak et en Afghanistan par exemple).
Piégés à la Nouvelle Orléans, d'abord par les flots, puis par la loi
martiale
le 6 septembre
Par Larry Bradshaw et Lorrie Beth Slonsky
LARRY
BRADSHAW et LORRIE BETH SLONSKY travaillent à l'EMS (Emergency Medical
Services) de San Francisco et contribuent à Socialist Worker. Ils
participaient à une conférence de l'EMS à la Nouvelle Orleans
lorsque l'ouragan Katrinaa frappé la ville. Ils ont passé presque une
semaine coincés par les inondations---et le cordon instauré par la loi
martiale et encerclant la cité.
Deux jours après que l'ouragan Katrina ait frappé la Nouvelle-Orléans,
le magasin de Wallgreen à l'intersection des rues Royal et Iberville
resta fermé à clé. Le section des produits laitiers était visible
depuis les vitrines. Cela faisait 48 heures sans électricité et sans
eau courante. Le lait, les yoghourts et les fromages étaient en train
de pourrir sous une chaleur de quarante degrés celsius. Les
propriétaires et les gérants avaient enfermé la nourriture, l'eau, les
couches et les ordonnances et ont fui la ville. Devant les vitrines de
Wallgreen, la faim et la soif des résidants et des touristes
grandissaient.
L'aide promise par les gouvernements féderal, étatique et local ne
s'est jamais materialisée et les vitrines de Walgreen ont été défoncées
par les pillards. Il y avait une alternative. Les flics auraient pu
casser une petite vitrine afin de distribuer les cacahuètes, les jus de
fruits et l'eau en bouteille d'une manière organisée et systématique.
Mais ils ne l'ont pas fait. Au lieu de ça, ils ont passé des heures à
jouer au chat et à la souris, chassant momentanément les pillards.
Nous suspectons les médias d'être inondés d'images héroïques des gardes
nationaux, des soldats et des policiers luttant pour aider les
"victimes" de l'ouragan. Ce que vous ne verrez pas, ce dont nous avons
été témoins, c'est que les héros et les héroïnes du véritable effort
pour résoudre les problèmes de l'ouragan ont été : la classe ouvrière
de la Nouvelle Orléans. Les ouvriers du bâtiment qui utilisèrent un
fenoique pour transporter des malades et des handicapés. Les ingénieurs
qui démarrèrent et entretinrent des générateurs.. Les électriciens qui
ont improvisé des cordons d'extension à travers des quartiers pour
partager le peu d'énergie disponible afin de libérer des voitures
coincées sur les toits des parkings. Les infirmières qui ont pris en
charge des ventilateurs mécaniques et qui ont passé des heures à forcer
manuellement de l'air dans les poumons des patients sans conscience
pour les garder vivants. Les grooms qui sauvèrent des gens coincés dans
les ascenseurs. Les ouvriers des raffineries qui sont rentrés dans les
entrepôts des bateaux, "volant" ceux-ci pour sauver leurs voisins
agrippés aux toits dans les eaux de l'inondation. Les mécaniciens qui
aidèrent à démarrer toutes les voitures trouvables pour qu'elles
acheminent des gens en dehors de la ville. Et les ouvriers de
restauration qui récupérèrent tout ce qu'ils pouvaient pour improviser
des repas communaux pour des centaines des personnes abandonnées. La
majorité de ces ouvriers avait perdu leurs maisons et n'avait pas eu de
nouvelles de leurs familles, mais ils restèrent et ils donnèrent la
seule infrastucture pour les 20% de la ville qui n'était pas submergée
par les eaux.
Le jour 2, nous étions approximativement 500 à être restés dans les
hôtels du quartier français. Nous étions un mélange de touristes
étrangers, de participants aux conférences (comme nous deux) et de
natifs de la ville en quête de sécurité à chercher refuge dans les
hôtels. Certains d'entre nous avaient un contact par téléphone portable
avec de la famille et des amis en dehors de la Nouvelle-Orléans. Ils
nous ont dit encore et encore que toutes sortes de ressources comme la
Garde nationale et comme plusieurs vingtaines d'autocars arrivaient en
ville. Les autocars et les autres ressources devaient être invisibles
car personne d'entre nous ne les a jamais vues.
Nous avons décidé de nous sauver nous-mêmes. Alors nous avons mis en
commun notre argent et avons réservé 25 000 $ pour faire venir dix
autocars qui nous sortiraient de la ville. Ceux qui n'avaient pas les
45 $ nécessaires pour le billet étaient subventionnés par ceux qui
avaient plus d'argent. Nous avons attendu 48 heures pour les autocars,
en passant les dernières douze heures dehors, partagant le
peu d'eau, de nourriture et de vêtements à notre disposition. Nous
avons créé une zone d'embarquement prioritaire pour les malades, les
vieux et les nouveaux-nés. Nous attendîmes jusque tard dans la nuit
l'arrivée imminente des autocars. Ils ne sont jamais arrivés. Plus tard
nous avons appris qu'à la minute où ils arrivèrent aux limites de la
ville, ils furent réquisitionnés par l'armée.
Le jour 4, nos hôtels n'avaient plus ni pétrole ni eau. L'hygiène était
dangereusement abyssale. Tandis que la frustration et le désespoir
montaient, la criminalité et le niveau d'eau montaient aussi. Les
hôtels nous ont expulsés et ont fermé leurs portes, nous disant que les
"autorités" avaient demandé que nous rejoignions le Centre de
convention pour y attendre les autocars. Lorsque nous entrâmes dans le
Centre, nous avons enfin rencontré la Garde nationale. Les gardes nous
ont dit que nous ne serions pas autorisés à entrer dans le Superdome
puisque l'abri principal de la ville s'est dégradé pour devenir un
enfer humanitaire et sanitaire.
Les gardes nous ont dit aussi que le seul autre abri de la ville, le
Centre de convention, était aussi en train de devenir le chaos et que
c'était interdit aux policiers de laisser entrer n'importe qui de
nouveau. Naturellement, nous avons demandé : "Si nous ne pouvons pas
aller aux deux seuls abris de la ville, quelle est notre alternative ?"
Les gardes nous ont dit que c'était notre problème et qu'ils n'avaient
pas d'eau à nous donner. Ceci était la première de nos nombreuses
rencontres avec les "forces de l'ordre" ineptes et hostiles.
Nous avons marché jusqu'au commissariat à Harrah sur Canal Street et là
nous avons entendu la même chose, que nous devrions nous débrouiller
par nous-mêmes et qu'ils n'avaient pas d'eau à nous donner. Notre
groupe comptait maintenant plusieurs centaines de personnes. Nous avons
tenu une assemblée générale pour décider quelle action poursuivre. Nous
nous sommes mis d'accord pour faire du camping devant le commissariat.
Nous serions exposés aux médias et cela constituerait une humiliation
visible pour les autorités de la ville. La police nous a dit que nous
ne pouvions pas rester. Tout de même nous avons commencé à nous
installer et à faire un camp. Bien tôt, le commissaire a traversé la
rue pour s'adresser à notre groupe. Il nous a dit qu'il avait une
solution : nous devrions marcher vers l'autoroute Pontchartrain et
traverser le grand pont de la Nouvelle-Orléans où les policiers avaient
de nombreux autocars nous attendant pour nous faire sortir de la ville.
La foule a applaudi et a commencé à s'animer. Nous avons rappellé tout
le monde et avons expliqué au commissaire qu'il circulait beaucoup de
fausses informations. Est-ce qu'il était sûr que des autocars nous
attendaient ? Le commissaire s'est tourné vers la foule et a déclaré
avec passion : "Je vous jure que les autocars sont là."
Nous nous sommes organisés et nous étions 200 à marcher vers le pont
avec beaucoup d'excitation et d'espoir. Pendant qu'on passait le Centre
de convention, plusieurs natifs de la ville ont vu notre groupe
déterminé et optimiste et ils ont demandé où on allait. Nous leur avons
répété les nouvelles fantastiques. Des familles ont immédiatement pris
leur peu de possessions et nous ont rejoints. La taille de notre groupe
a doublé, puis elle a doublé encore. Nous avions avec nous des bébés
dans des poussettes, des gens appuyés sur des béquillles, des vieux et
d'autres en sièges roulants. Nous avons marché les 4-6 km jusqu'à
l'autoroute et nous avons monté la pente raide qui nous menait au pont.
Il pleuvait maintenant mais la pluie ne mouillait pas notre
enthousiasme.
Quand nous sommes arrivés près du pont, les policiers armés ont formé
une ligne à travers les pieds du pont. Avant que nous les ayons
approchés assez pour leur parler, ils ont commencé à tirer avec leur
armes au-dessus de nos têtes. Ceci a fait fuir la foule dans tous les
sens. Tandis que la foule s'éparpillait, quelques-uns d'entre nous se
sont approchés d'eux pour les engager à discuter. Nous leur avons
répété notre conversation
avec le commissaire. Les policiers nous ont informés qu'aucun autocar
n'attendait. Le commissaire nous a menti pour nous faire bouger. Nous
avons demandé pourquoi nous ne pouvions pas traverser le pont quand
même, surtout étant donné qu'il y avait peu de circulation sur
l'autoroute à six voies. Ils ont répondu que le West Bank n'allait pas
devenir la Nouvelle-Orléans et qu'il n'y aurait pas de Superdomes dans
leur ville. C'était un code pour dire que si vous êtes pauvres et
noirs, vous ne traverserez pas le fleuve du Mississippi et vous ne vous
échapperez pas de la Nouvelle-Orléans.
Notre petit groupe a reculé jusqu'à l'autoroute 90 pour se protéger de
la pluie sous l'autoroute. Après avoir débattu des alternatives, nous
avons décidé de construire un camping au centre de l'autoroute
Ponchartrain, sur les bords du milieu, entre les sorties O'Keefe et
Tchoupitoulas. Notre logique était qu'ainsi nous serions visibles de
tout le monde, que nous aurions de la sécurité en étant sur une
autoroute surélevée et que nous pourrions attendre et regarder pour
l'arrivée des autocars. Toute la journée, nous avons vu d'autres
familles, individus et groupes qui faisaient le même trajet sur la
pente dans un effort pour traverser le pont et se faisaient toujours
repousser. Certains étaient chassés par le feu des munitions, d'autres
ont entendu simplement "non", et il y en avait d'autres qui se
faisaient agresser verbalement et humilier. Des milliers de gens de la
Nouvelle-Orléans ont été empêchés et interdits d'évacuer eux-mêmes de
la ville à pied.
Entretemps, les deux seuls abris de la ville continuaient à se
dégrader. Le seul moyen de traverser le pont était en véhicule. Nous
avons vu des ouvriers voler des camions, des autobus, des camions de
déménagement et n'importe quelles voitures pouvant être démarrées sans
clés. Les véhicules étaient tous remplis de personnes essayant
d'échapper de la misère qu'est devenue la Nouvelle-Orléans.
Notre petit camping a commencé à fleurir. Quelqu'un a volé un camion de
livraison d'eau et il nous l'ont amené. Qu'on applaudisse tous les
pillards! A peu près 2 km plus loin sur l'autoroute, un camion de
l'armée en tournant a perdu quelques cartons d'approvisionnement. Nous
avons amené la bouffe à notre camping dans des caddies de supermarché.
Maintenant s'étant assuré les deux nécessités, nourriture et eau,
coopération, communauté et créativité ont fleuri. Nous avons organisé
un nettoyage et avons pendu des sacs poubelle depuis des pôles
autoroutières. Nous avons fait des lits avec des palettes en bois et
des cartons. Nous avons désigné un caniveau pour en faire des toilettes
et les enfants ont construit un enclos avec du plastique, des
parapluies cassés et d'autres débris pour les rendre intimes. Nous
avons même organisé un système de recyclage de la nourriture où les
personnes pouvaient échanger des morceaux de leur approvisionnement (de
la compote de pomme pour les bébés et des bonbons pour les enfants !)
Ceci était un déroulement qu'on voyait se répéter sans cesse après
Katrina. Quand des individus devaient lutter pour trouver de l'eau et
de la nourriture, cela signifiait que chacun vivait pour soi. Il
fallait faire tout ce qui était nécessaire pour trouver de l'eau pour
vos enfants et de la nourriture pour vos parents. Quand ces besoins
fondamentaux étaient satisfaits, les gens commencaient à prendre soin
des autres, à travailler ensemble et à construire une communauté. Si
les organisations de secours avaient ravitaillé la ville avec de l'eau
et de la nourriture dans les premiers deux ou trois jours, le
désespoir, la frustration et la dégradation n'auraient pas fait main
basse sur la ville. Nos besoins fondamentaux comblés, nous avons offert
de l'eau et de la nourriture aux familles et aux individus qui nous
croisaient. Beaucoup ont décidé de rester et de se joindre à nous.
Notre camp s'est agrandi de 80 ou 90 personnes.
Une femme avec une radio à piles nous a appris que les médias parlaient
de nous. Exposés ainsi sur l'autoroute, chaque organisation de secours
et d'information nous avaient vus
en rentrant dans la ville. Ils demandaient aux autorités ce qu'elles
allaient faire avec toutes ces familles qui vivaient là-haut sur
l'autoroute. Les autorités ont répondu qu'ils allaient s'occuper de
nous. Certains d'entre nous commencaient à avoir peur. "S'occuper de
nous" avait un ton de mauvais augure. Malheureusement, cette crainte
était justifiée. Au crépuscule, un policier de Gretna est arrivé, a
pointé son flingue sur nos têtes et a hurlé : "Descendez de la putain
d'autoroute." Un hélicoptère descendait et utilisait le vent qu'il
créait pour faire s'envoler nos abris maigres. Pendant qu'on battait en
retraite, le policier a rempli son camion avec notre nourriture et
notre eau. Une fois encore, sous la menace du pistolet, nous fumes
forcés de sortir de l'autoroute. Toutes les agences des forces de
l'ordre semblaient menacées lorsque nous nous assemblions dans des
groupes de 20 ou plus. Dans chaque assemblée de "victimes", ils
voyaient des "émeutiers." Nous nous sommes sentis sécurisés en étant
nombreux. Notre désir de "rester tous ensemble" était impossible car
les pouvoirs nous forçaient à nous atomiser dans de petits groupes.
On s'était éparpillé encore dans le pandémonium de notre camping envahi
et détruit. Réduit à un petit groupe de huit, dans le noir, nous avons
cherché un abri dans un autobus scolaire abandonné, sous l'autoroute
sur Cilo Street. Nous nous cachions des éléments criminels mais
également et définitivement nous nous cachions des policiers avec leur
loi martiale, leur couvre-feu, et leur procédure de "tirer-pour-tuer".
Les jours suivants, notre groupe réduit à 8 personnes, qui marchait
pratiquement toute la journée, a pris contact avec les pompiers de la
Nouvelle-Orléans et a été sauve par un hélicoptère d'une équipe de
sauvetage urbain. Ils nous ont laissés près de l'aéroport et on a
réussi à s'y faire amener par la Garde nationale. Les 2 gardes étaient
désolés pour la réponse bornée des gardes de Louisiane. Ils ont
expliqué que la majorité de leur unité était en Iraq et que cela
réduisait trop leur nombre pour accomplir tout le travail assigné. Nous
sommes arrivés à l'aéroport le jour où une grosse opération
d'évacuation par les airs démarrait. L'aéroport était devenu un nouveau
Superdome. Nous étions 8 pressés de toutes parts par une foule d'hommes
tandis que les vols furent suspendus pour plusieurs heures afin que
George Bush puisse atteindre l'aéroport et se faire photographier.
Après avoir été évacués par un avion des gardes-côtes, nous sommes
arrivés à San Antonio, Texas.
Là-bas continuaient l'humiliation et la déshumanisation de l'effort
officiel des secours. Ils nous ont mis dans des cars et nous ont
conduits dans un grand champ où ils nous ont faits nous asseoir des
heures et des heures. Certains autocars n'avaient pas de climatisation.
Dans le noir, on était des centaines à être obligés de partager deux
toilettes portables qui débordaient. Ceux qui ont réussi à sortir de la
ville avec des bagages (souvent quelques trucs dans les sacs plastiques
déchirés) étaient assujetis à deux fouilles différentes avec des
chiens. La plupart d'entre nous n'avait pas mangé de toute la journée
car nos approvisionnements ont été confisqués à l'aéroport parce qu'ils
déclenchaient les détecteurs de métaux. Pourtant, aucune nourriture n'a
été prévue pour les hommes, femmes, enfants, gens âgés et handicapés
tandis qu'ils restèrent assis des heures en attendant d'être vus par un
médecin qui confirmera qu'on ne transportait pas des maladies
communicables.
Cette réception officielle faisait un énorme contraste avec la
réception chaleureuse et sincère que les Texans ordinaires nous avaient
offerte. Nous avons vu qu'une employée d'une compagnie aérienne a donné
ses chaussures à quelqu'un qui allait pieds nus. Les étrangers dans la
rue nous ont offert de l'argent et des articles de toilettes avec des
mots de bienvenue. Durant toute la catastrophe, l'effort de secours
officiel était insensible, incompétent et raciste. Il y avait plus de
souffrance qu'il n'en fallait. Des vies perdues sans nécessité... Larry Bradshaw, Lorrie Beth Slonsky